Nouvelle – Le buisson de genêts
L’averse s’est tue. Je descends sur l’Esplanade humer l’air neuf d’une terre imbibée de pluie, cette senteur que je veux apprivoiser, comme le printemps qui se compose. L’air se fait plus clément, moins turbulent, la forme même des jets d’eau s’alanguit et retombe avec une sorte de grâce retrouvée.
Un esprit de renouveau danse d’un arbre à l’autre. Les bourgeons se gonflent d’une sève gravide, tandis qu’une sorte d’écume légère d’un jaune vert pâle à peine esquissé, s’agrippe aux bouts des branches. D’abord floue, évanescente, elle se précise peu à peu, évoque en miniature les futures frondaisons des allées. Celles-ci, bordées de platanes, me mèneront jusqu’au vaste escalier qui permet de gagner les hautes terrasses du Corum. Les promeneurs que je croise ont le sourire à la fois timide et fier de gens qui viennent d’échapper par mégarde à une catastrophe, ou bien de surmonter une pénible épreuve, alors qu’en fait, ils ont tout simplement survécu aux rigueurs de l’hiver. Ils entendent bien, par leur sourire soulagé et ravi, le faire savoir autour d’eux.
Je me sens moi aussi complice de ce renouveau. Je suis un peu comme ces graines qui, à peine germées, soulèvent déjà la terre, la traversent, s’épanouissent à l’air libre et respirent enfin la douceur si longtemps espérée durant leur confinement dans le sol gelé de l’hiver.
Je veux me lover au creux de l’air ressuscité, je veux m’enivrer de vie dans une profonde aspiration de l’âme, après la lente mort hivernale où, recroquevillée sur mon propre souffle, j’ai si longtemps omis de respirer.
Les jets d’eau et les parterres de fleurs exaltent si gracieusement l’espace entre les deux allées, qu’ils me fascinent, et, avant de monter jusqu’aux terrasses, je veux en goutter les sons, les mouvements et les couleurs. Je contemple la vigueur des myriades de gouttelettes qui s’élèvent puis retombent, dans leur vasque de pierre en un léger murmure de vagues froissées. J’entre peu à peu dans cette symphonie où sons et mouvements se font échos, se fondent et s’opposent.
Autour des jets d’eau la minutieuse flamboyance des parterres m’attire tout autant. Leurs fleurs variées en formes et en couleurs sont comme des regards neufs, de candides présences disposées là en harmonieux rectangles, telles ces hautes verrières serties aux murs des cathédrales. Le temps se replie et je me revois justement dans la cathédrale de Metz, et sa mystique pénombre de sa nef gothique. Je m’avance jusqu’au transept où, sur le sol usé, je croise les pas silencieux de croyants d’un autre âge et où se joue encore la même lumière qui s’épandait jadis des fleurs inaccessibles des verrières.
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