Anecdote cette année là
L’année 1935 – une nouvelle avec un poêle
Je dois avoir trois ans. Il me semble que c’est mon tout premier souvenir : je revois un embrasement de charbons rougis et des flammes opalescentes qui dansent dans le foyer de la cuisinière à charbon.
La cuisine est mon repaire favori. Je m’y sens bien : il y fait chaud en hiver malgré la neige, malgré le gel.
Pauline, qui est à la fois notre cuisinière, ma nourrice et qui, de temps à autre, remplace ma grand-mère, sait faire de si jolis gâteaux.
Ce jour-là, je me tiens bien sage près de la porte du four où une douzaine de meringues ont fini de se dorer.
Une nouvelle avec la chute d’un ourson
Je les contemple, l’eau à la bouche, serrant contre mon cœur mon petit ours rouge qui, après avoir reçu tant de baisers, être tombé et avoir traîné tant de fois sur le sol, s’est chargé de tant de poussières qu’il en est tout défiguré.
Mais je l’aime, c’est mon ami et je lui raconte tant de choses…
A présent, je lui montre le four ouvert et lui vante les douceurs que nous allons manger ensemble.
Je me revois ensuite assise sur ma chaise haute de bébé, emprisonnée derrière la tablette rabattue devant moi et où Pauline a déposé quelques meringues encore toutes chaudes et moelleuses. J’avance la main pour en prendre une et la goûter lorsque je m’aperçois que j’ai oublié mon petit ours devant la cuisinière.
Je veux descendre de ma chaise haute : impossible.
«Mon nounours, Pauline, mon nounours, donne le moi, s’il te plaît !».
Une nouvelle avec la disparition d’un ourson
Sans doute excédée de voir, une fois de plus, ce jouet couvert de poussières traîner à terre, Pauline se retourne et dit «C’est un véritable nid à microbes, il est grand temps de le remplacer !».
D’un geste vif, elle ouvre la cuisinière : dans le rougeoiement des braises, je vois mon petit ours rouge ! Je le vois se tordre et se défaire de ses membres, son corps, sa tête et ses yeux fondre de douleur.
Mon cœur s’arrête tandis que le feu, comme attisé, redouble de violence et s’acharne sur mon autre moi-même. Je souffre son agonie.
Le bruit du loquet, qui retombe dans son logement, le claquement sec et définitif de la petite porte qui se referme l’arrache à jamais à mon regard …
Avant hier, j’ai retrouvé un petit ours rouge. Je l’ai acheté sans hésiter : il est bien doux, bien rouge, bien propre et sans microbe et lavable en machine par-dessus le marché !
Lorsque je le regarde, mon désespoir d’enfant m’étrécit à nouveau la gorge. Pour un peu, je me mettrais à sangloter.
Note : cette nouvelle a été publiée dans une revue de la Ville de Montpellier Les écrits de l’Age d’or en mai 2000 et ne fait pas partie du tome I mais se trouve dans le tome II.