Nouvelle – Le phénix

Dès le premier regard, j’ai eu la certitude que le foulard, épinglé au beau milieu de la vitrine et fixé là comme un somptueux papillon de collection, tôt ou tard m’appartiendrait. Et cela, malgré la petite étiquette ronde où s’étalait un prix dissuasif. La brassée d’émotions et d’impressions que j’avais reçue, lors de cette première rencontre, avait été décisive.

J’avais aperçu ce foulard le premier dimanche de septembre, en fin d’après-midi : une pâle lumière, à la fois grise et dorée, jouait sur la vitrine de la petite boutique de luxe près de la place Saint-Roch. Malgré l’heure tardive, j’avais pu apprécier d’emblée non seulement les teintes délicates du foulard, mais également les lignes pures du dessin qui s’épanouissait en son centre. La vigueur du tracé, sur un fond d’une pâleur ivoirine, faisait ressortir la finesse de l’étoffe et soulignait l’élégance de la frise d’un rouge d’Andrinople qui bordait le foulard sur ses quatre côtés.

Était-ce le discret frémissement du vent du soir qui donnait au dessin sur le foulard cette impression de vie ? Était-ce le pouvoir évocateur de l’artiste, la maîtrise de son coup de crayon, ou bien tout simplement l’élan de mon propre cœur ? L’oiseau qui, au centre du carré de soie, montrait, en plein essor, le dessous de ses ailes déployées, semblait si vrai, si vivant, que je croyais voir palpiter le minuscule duvet sous son ventre tiède et douillet. Fermant les yeux, je sentais sur mes joues le souffle vigoureux de ses battements d’ailes réguliers qui recréaient, dans leur mouvance, une immensité d’espaces infinis à l’aplomb de canyons comme autant de vertigineuses perspectives.

La lumière du soir avait noyé la placette dans une brume bleutée. Le vent, de temps à autre, cueillait une feuille aux frondaisons des trois’ platanes, entre l’église et la boutique. Dans le jour finissant, l’oiseau semblait avoir replié ses ailes majestueuses, comme s’il voulait s’endormir ou me donner congé. Je m’en éloignais à regret, me promettant bien de revenir le lendemain afin de l’admirer sous une autre lumière.

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