Nouvelle – Noël 1996
Dès l’entrée, un tango argentin aux accents résolument aguicheurs, nous accueille et nous guide jusqu’au seuil de la grande salle à manger.
Nous aurions pu nous croire dans un restaurant au bord de la mer, car au-delà des larges baies vitrées des espaces herbeux descendent en pente douce pour disparaitre vers ce qui aurait pu être un rivage. IL ne manque que le bruit du ressac lorsque la fougue virevoltante du tango s’apaise un instant pour reprendre de plus belle.
Autour des tables rondes nappées de tissu provençal jaune et vert, des convives sont déjà installés. Bon nombre d’entre eux en chaise roulante attendent immobiles, le regard suspendu dans une sorte de vague regret d’un insondable vacuité.
Entre les piliers qui, de place en place, soutiennent le plafond bas de longues guirlandes s’étirent et laissent pendre nonchalamment de grosses étoiles dorées rebondies et festives.
Tout au fond de la salle, entre les baies vitrées, sur un guéridon drapé à l’ancienne, une crèche chaotique éparpille d’étranges santons comme déchiquetés dans de la pâte à sel : silhouettes torturées aux yeux vides de tout regard et qui rappelle curieusement certaines formes humaines assises autour des tables.
Soudain, au cœur du tango argentin, viennent se tisser en filigrane, et reproduits à l’identique, les cris lancinants d’une pensionnaire à l’esprit enrayé.
Le chef en personne nous sert, coiffé d’une toque blanche plus grande que nature : en effet, s’il n’y prend garde, son imposant couvre-chef effleure les étoiles des guirlandes qui, languissement continuent de se balancer longtemps après son passage.
Certains semblent savourer ce repas délicieux préparé avec soin ; dans un vague désarroi, d’autres avec la désinvolture de ceux qui ont totalement oublié le lieu où ils se trouvent, comme cette pensionnaire, qui se rêvant dans le jardin de son enfance, s’enfuit à plusieurs reprises par l’issue de secours.
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