Nouvelle – Photo en noir et blanc
Celui qui avait pris la photo était placé de l’autre côté de la rue de façon à ce que la façade, ainsi que le côté gauche de la maison, soit visible.
Ma grand-mère debout sur une marche du Perron, semble esquisser un pas vers la porte d’entrée, comme impatiente de retrouver la tâche qu’à regret elle vient d’interrompre.
Son expression est souriante certes, Mais quelque peu matinée d’agacement : le temps s’écoule alors qu’elle a tant de choses à faire avant midi. Mon grand-père les mains dans les poches se tient à l’entrée du jardin qui longe le côté gauche de la maison, visible sur la photo.
Devant le portail flanqué de deux jeunes cyprès qui lui arrive tout juste à l’épaule. Il n’a visiblement rien d’autre à faire que de fixer d’un air paisible et satisfait l’objectif de l’appareil.
Il a vraiment tout son temps car il vient de tailler avec amour ses espaliers ainsi que son plan de vigne qui couvre la partie basse du mur : on y remarque la belle symétrie des branches de poirier et celle des sarments de vigne coupés ras.
Le soleil brode des ombres joyeuses sur la grisaille du mur tandis que mon grand-père songe déjà avec tendresse à ses « louises bonnes » fondantes et juteuses ainsi qu’aux grappes rebondies de son plan de Chasselas.
Adossé au mur du jardin ses deux fils cadets font des grimaces au photographe qui n’est autre que leur frère aîné. Bouche ouverte, haletants, ils semblent tous à bout de souffle et se collent le dos au mur comme pour ne pas tomber : Ils viennent sans doute de vagabonder dans les collines où les Mirabelliers sont encore en fleurs.
La photo terminée ils s’échapperont une fois encore dans la campagne, ivres d’espace, de mouvement et de liberté.
Au premier étage, côté jardin, assise dans l’encadrement d’une fenêtre grande ouverte, la fille de la maison sourit, un petit chat tigré lové sur ses genoux. Légèrement penchée en avant, elle semble écouter s’il ronronne. A qui pense-t-elle ? A son amoureux ? Son sourire fragile à peine esquissé.
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