Tome I

Nouvelle – Tour d’ivoire

Comme autant de gravides solitudes
Tour d’ivoire

Comment n’avait-elle pas pressenti les premiers symptômes de la désaffection ? Encore que le terme ne convienne pas exactement, car c’était plutôt une sorte de joute unilatérale au cours de laquelle Aurélien, toujours en présence de présence de tiers, cherchait à la provoquer jusqu’à l’exaspération, et cela inexplicablement, mû par quelque motif mystérieux aux yeux d’Eléonore, mais qu’Aurélien, lui, semblait connaître parfaitement, car le schéma était toujours le même, la…

présence de tiers : la condition sine qua non ; le motif du désaccord, des plus futiles poussant Eléonore jusqu’à la vérité nue, honnête sans le moindre détour, vérité parfois cruelle, toujours griffeuse, égratignant l’amour- propre, ce talon d’Achille commun à tout homme qui refuse de se voir tel qu’il est, tout en sachant au tréfonds de lui-même la véritable nature de ses pulsions, de ses faiblesses et les limites précises de son pouvoir.

Ces joutes se multipliaient, mais jamais à deux ni dans l’intimité, comme s’il avait voulu prendre les autres à témoin et Eléonore en flagrant délit de lèse-mari. De toute évidence, un auditoire facilitait grandement les choses, car il lui était toujours loisible de ne pas répondre aux vérités d’Eléonore ainsi provoquée, les parents ou les amis présents noyant le poisson dans les eaux gluantes des généralités, lui permettaient à chaque fois de ne rien dévoiler de ses propres pensées et de jouer un tantinet les martyrs.

S’analysant sans la moindre complaisance, elle se savait intransigeante sur le plan de ses relations avec autrui, mais parce qu’elle l’était aussi envers elle-même – il lui fallait une relation vraie, des rapports où les deux protagonistes ne trichent pas, n’essaient pas de se montrer autres mais reconnaissent leurs faiblesses, avouent leurs inhibitions, leurs peurs, leurs névroses réciproques dans un échange fécond, positif. En revanche, si l’un des deux se contente de recevoir, de subir ces vérités utiles sans broncher,…

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