Tome II

Nouvelle – Une nuit sans lune

Nuit sans lune

De petits coups obstinés contre les volets de la fenêtre de ma chambre m’arrachent sans ménagement à mon fragile sommeil. Mon sang ne fait qu’un tour, une rage incontrôlable m’envahit toute : Je la sens dans mes mains crispées qui s’agrippent frénétiquement au drap, je la reconnais dans le bond nerveux qui me jette hors de mon lit uniquement pour faire cesser les coups lancinants et pervers qui, depuis des semaines, voire des mois, fracassent et éparpillent mes rêves au petit matin.

Cette fois-ci, c’en est trop : le cadran lumineux de mon réveil indique minuit, treize minutes, treize secondes ! Il faut absolument que ces coups cessent, je dois y mettre fin, tout de bon et tout de suite. Je suis hors de moi, dans un état qui frise la crise de nerfs, voire la démence. Je vois mon sommeil s’étrécir comme une peau de chagrin, mes insomnies gagner du terrain et la folie me guetter au coin de mes nuits blanches.

Aiguillonnée par la nécessité d’agir vite et galvanisée par la peur de perdre la raison, je me précipite hors de ma chambre. Le temps presse : le hachoir de la cuisine fera l’affaire. Je le cherche partout, et, lorsqu’enfin je le découvre au fond de l’évier, encore couvert d’un résidu visqueux d’oignon et d’échalote, ma colère est à son comble. A peine l’ai-je saisi qu’il me semble d’un poids dérisoire, impropre à réaliser mon noir dessein : je le lance dans l’évier où il tintinnabule, inoffensif et discordant.il me faut quelque chose de plus lourd et de plus mortifère si je veux que cessent à jamais ces bruits nocturnes qui grignotent ma raison à petit feu.
Dans le couloir, j’entends à nouveau ces mêmes petits coups contre les volets : il recommence, il ne s’arrêtera donc jamais cet empêcheur de danser en rond, ou plutôt de ‘dormir en long’ ! Ce mauvais jeu de mots ne fait qu’exciter ma rage : je ne me reconnais plus. Comme une folle je gagne au pas de charge le fond du garage qui me sert de bûcher. Là, l’odeur envoûtante et rustique des rondins que je brûlerai cet hiver, m’étourdit et me distrait un instant de mes funestes intentions, mais le temps n’est pas aux rêveries de promenades en forêt, les coups contre mes volets m’interpellent.

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